En marge de la 105e édition du Congrès des maires et des présidents d’intercommunalités, deux rendez-vous ont réuni le 20 novembre dernier les édiles et élus ultramarins ; d’une part la Réunion des élus d’Outre-mer au Palais des Congrès d’Issy-les-Moulineaux et d’autre part la 4e rencontre entre le Sénat et les élus d’Outre-mer. L’occasion pour nos représentants locaux de témoigner de leurs problématiques locales et de les porter à la connaissance de leurs homologues hexagonaux.
La réunion des élus des Outre-mer qui se tenait au Palais des Congrès d’Issy-les-Moulineaux a comme d’accoutumée donné le coup d’envoi du Congrès des maires de France. En présence de David Lisnard, président de l’Association des maires de France, des présidents des associations départementales de maires, et du ministre délégué aux Outre-mer Philippe Vigier, les représentants ultramarins ont exposé leurs difficultés quotidiennes à l’occasion de tables rondes. La première était consacrée à la gestion du foncier et la seconde à la lutte contre la vie chère.
Le même jour dans l’après-midi, était organisée au Palais du Luxembourg la quatrième édition de la rencontre des maires d’Outre-mer au Sénat, lancée par le président de la chambre haute Gérard Larcher et organisée par la délégation sénatoriale aux Outre-mer, présidée par Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy. Deux thématiques ont été abordées : échanges sur l’avenir de la commune et du maire et débat sur les problématiques de gestion locale sur la crise de l’eau. En préambule, le président du Sénat a rappelé l’attachement du Sénat “à la proximité, aux territoires et en particulier aux 212 communes ultramarines disséminées à travers le monde qui contribuent au rayonnement de la France”. Gérard Larcher a annoncé le dépôt d’une proposition de loi d’adaptation du droit des Outre-mer “à l’ordre du jour du Sénat, une fois par an”, afin de donner davantage de “pouvoir d’agir” aux maires. “Ce rendez-vous annuel, en plus de renforcer les liens entre le Sénat et les collectivités ultramarines, permettrait de mieux associer les élus de ces territoires à l’élaboration de la loi et obligerait les administrations des différents ministères à être plus réactives en raison de son institutionnalisation. Cette manière de fabriquer la loi aurait en outre le mérite de limiter le recours aux ordonnances”, a-t-il établi.
Avenir de la commune et du maire
La première thématique de cette rencontre au Sénat concernait l’avenir de la commune et du maire. Un sujet traité dans un rapport intitulé “Avis de tempête sur la démocratie locale, soignons le mal des maires”. Son rapporteur le sénateur de l’Ardèche Mathieu Darnaud, s’est exprimé lors de ce rendez-vous devant les élus ultramarins en parlant premièrement de la sanctuarisation de la commune avec un versant constitutionnel. Selon lui, il faudrait inscrire dans la Constitution la clause de compétence générale. “Il faut que l’on reconnaisse la commune sur un échelon très particulier, un échelon à part”.
Il interroge également le rapport commune-État. “Le fait d’ériger en principe suprême dans la constitution le principe ‘qui décide paye, qui paye décide’. Que ce soit l’État territorial ou l’État central, vous [les élus] répondez en permanence jour après jour à des injonctions et à des transferts de charges qui sont parfois déguisés ou apparents et malheureusement vous n’avez plus au fil du temps, les moyens d’y répondre et de faire en sorte que les souhaits de l’État puissent trouver une concrétisation sur votre territoire communal. Ces principes sont la garantie de protection absolue de la commune tant comme lieu particulier mais aussi, comme cellule de base de la démocratie, qui permet de répondre au plus proche aux besoins de nos concitoyens”, affirme-t-il. Pour ce sénateur, le rapport à l’État, “est aujourd’hui une réalité absolue. Nous pensons que le temps est venu de parler de territorialisation de l’action publique : chaque territoire a ses propres atouts/faiblesses/ressources”. Pour cela, M. Darnaud préconise de renforcer le couple maire-préfet et maire-haut-commissaire. “Aujourd’hui pour répondre à ces injonctions de l’État vous avez besoin de souplesse et d’agilité. C’est un point que nous voulons pousser. On entend ce phénomène de lassitude, de réponse beaucoup trop longue, d’un État central qui peine à comprendre l’impérieuse nécessité à aller vite. Nous voulons revisiter ce fameux article 72 de la Constitution, ainsi que le fait de repenser l’intervention du préfet et du haut-commissaire”, assure-t-il.
Enfin, le sénateur de l’Ardèche aborde la question du “statut de l’élu”. “Jamais nous n’avons eu autant de démissions de maires. Nous arrivons à 30.000 démissions d’élus locaux depuis 2020. Parmi les explications il y a ce sentiment d’être incompris déclassé. […] On voit aussi une forme de lassitude”, dit-il. La question de la violence envers les élus est aussi abordée, étayée par l’agression en mai dernier du maire de Petit-Canal, Blaise Mornal. “Nous avons déposé un texte au Sénat pour renforcer l’échelle des peines”, a déclaré le rapporteur. La question de la rémunération et des cotisations à la retraite des élus des maires (non prise en compte comme une activité professionnelle) a également été abordée.
Les élus face à la crise de l’eau
Hervé Gillé, sénateur de la Gironde et rapporteur de la mission d’information sur la gestion durable de l’eau “L’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement”, s’est également exprimé face aux élus ultramarins. L’approvisionnement en eau et l’assainissement est une problématique prégnante pour Mayotte, la Guadeloupe, la Martinique, mais également la Guyane en raison de la contamination des cours d’eau au mercure.
“On est face à un enjeu majeur de gouvernance et d’investissement. Les territoires où l’approvisionnement en eau est défaillant, n’ont pas les moyens de financer des travaux qui sont colossaux, il faudra s’interroger sur la conduite à tenir pour accompagner l’ensemble des collectivités, retrouver un système plus en équilibre. Il faut donc que la solidarité nationale joue à plein et au demeurant on ne peut que constater que la pauvreté d’un certain nombre de consommateurs rend parfois impossible de leur demander une part accrue des financements dont une partie n’est pas recouvrée”, expose-t-il. “De manière endémique ce sont aussi les rejets organiques dans l’environnement liés à une mauvaise maîtrise de l’assainissement qui dégrade la qualité des eaux captées, pour approvisionner les habitants”, poursuit le sénateur. “La diversité des territoires ultramarins, leurs problématiques imposent de faire preuve de souplesse et d’ingéniosité et de mobiliser toute la palette des outils existants et notamment sur le plan technologique”, établit M. Gillé.
Partant de ces constats, le rapporteur propose des pistes d’amélioration et d’accompagnement. Dans un premier temps la piste financière figurant notamment dans le Plan Eau (mesure 40 : 35M euros/an). “C’est une proposition que nous soutenons. La solidarité interbassin va connaître une mise en œuvre début 2024 avec la hausse des contributions des agences de l’eau à l’OFB de 15M € en 2024 et 35M € en 2025. Dans le cadre du plan de relance, l’OFB disposait de 85M € sur les 3 années 2021-2022-2023 dont 47 pour financer des projets portant sur l’eau et l’assainissement en Outre-mer”, détaille-t-il. Mais les crédits ont été sous-consommés selon lui, “il faut donc accélérer en particulier pour la Guadeloupe, la Guyane et Mayotte”.
Au-delà des financements il y a aussi toute la dimension d’ingénierie pour porter des projets et les faire avancer localement. “C’est-à-dire planifier les travaux, passer les marchés, les suivre et ensuite mettre en service les infrastructures. Ce sujet-là est particulièrement important. Il y a des problématiques de compétences et de mobilisation de compétences, les cabinets conseils sont en crise. Ce sujet sur les Outre-mer nous intéresse, il ne s’agit pas d’avoir les enveloppes, il faut aussi des moyens d’ingénierie et d’accompagnement pour permettre la mise en œuvre qui respecte le calendrier. Nos auditions ont montré que cette ingénierie n’était pas facile à trouver y compris en passant des marchés d’assistance à maîtrise d’ouvrage et parfois les bureaux d’études qui pourraient intervenir n’existent pas. Nous pensons qu’il va falloir sans doute militer pour mobiliser une force d’appui aux territoires d’Outre-mer au niveau national. Cette notion de mutualisation et de mobilisation des compétences on va y travailler”, assure le rapporteur.
(Claudia Ledezert)